À l’ère de l’IA, développons nos compétences du vivant ?
Il y a quelques semaines, j’ai emmené mon fils à l’Atelier des Lumières, voir l’exposition immersive consacrée au Petit Prince.
Dans ce bain de lumières mouvantes, de musiques douces et de phrases suspendues dans l’espace, quelque chose s’est réveillé.
Pas seulement l’enfant en moi. Une autre question, plus profonde, plus actuelle : qu’est-ce que “savoir”, aujourd’hui ?
Le Petit Prince, lui, ne sait rien au sens académique du terme. Il n’est ni géographe, ni professeur, ni expert. Mais il observe, il écoute, il ressent. Il interroge les choses simples. Il ne maîtrise pas, il apprend en marchant. Il se trompe, il recommence. Il comprend. Vraiment.
Et face à lui, les grandes personnes. Celles qui “savent”. Qui chiffrent, catégorisent, organisent, décrivent. Et qui, pourtant, ne voient plus l’essentiel. Le géographe sait tout, mais n’a jamais vu un volcan de ses yeux. Le businessman compte les étoiles, mais ne les regarde pas.
À l’ère de l’IA, tout le monde sait… mais qui comprend encore ?
Ce décalage résonne fort, aujourd’hui. Il y a quelque chose d'étrangement contemporain dans cette œuvre écrite il y a près d’un siècle. Car désormais, le savoir est partout. L’intelligence artificielle le rend instantané, fluide, structuré.
En quelques secondes, un chatbot peut produire un plan stratégique, résumer un livre, concevoir un module de formation. Tout est disponible. Tout est accessible. Tout semble su.
Mais cette facilité soulève une tension : si tout le monde peut savoir, alors qu’est-ce qui fait encore autorité ? Qu’est-ce qui fait la différence ?
De plus en plus, je me rends compte que l’expérience devient la nouvelle frontière. Le seul territoire qui ne s’automatise pas. Car on peut réciter ce qu’on n’a jamais vécu, mais on ne peut pas transmettre ce qu’on n’a pas traversé.
Günther Anders l’avait pressenti :
l’homme dépassé par ses propres outils
Le philosophe Günther Anders, dans L’Obsolescence de l’homme, parlait déjà de cette fracture. Selon lui, l’humanité risquait d’être dépassée par ce qu’elle avait elle-même produit. Plus les technologies deviennent performantes, plus l’homme devient, paradoxalement, insuffisant.
Nous y sommes. Le savoir technique dépasse la capacité humaine d’en faire quelque chose de vivant. L’outil connaît, mais il ne doute pas. Il ne se souvient pas. Il n’échoue pas. Il ne ressent rien.
Et pourtant, c’est là que se trouvent, selon moi, les vrais apprentissages : dans ce qu’on a raté, mal compris, recommencé. Dans ce qui nous a remué. Dans les expériences qui ne rentrent pas dans un fichier Excel.
La fin du sachant, le début du vivant
Alors que devient la posture du sachant, dans ce monde-là ? Peut-être qu’elle se transforme. Peut-être qu’elle se fragilise — et c’est une bonne chose. Peut-être qu’elle laisse place à une posture plus humble, plus incarnée, plus relationnelle.
Former aujourd’hui, ce n’est plus détenir un contenu à transmettre. C’est savoir créer un cadre d’expérimentation. C’est écouter autant que parler. C’est se tenir dans l’incertitude, parfois. C’est accepter de ne pas tout savoir, mais d’avoir vécu assez pour pouvoir accompagner.
Manager, c’est un peu la même chose. Ce n’est plus imposer un savoir descendant, mais accompagner des dynamiques, réguler des tensions, poser des questions. C’est une compétence du vivant, pas de la mécanique.
Le Petit Prince nous le rappelle : on apprend en apprivoisant, pas en répétant des fiches techniques. On comprend une rose quand on a pris soin d’elle. Pas en ayant lu un article sur la botanique.
Quand le savoir isole, l’expérience relie
Mais il y a autre chose. Une chose que je perçois souvent dans les postures les plus figées : quand on pense savoir, et avoir raison, on se coupe du reste.
Du doute. De la nuance. De l’autre.
Et pourtant, dans un monde aussi mouvant que le nôtre, nous avons besoin du collectif. De regards différents. D’expériences partagées. D’intelligences qui s’accordent, se contredisent, s’enrichissent.
Le savoir figé isole. Le savoir vécu, lui, circule. Il se construit à plusieurs. Il s’approfondit dans la relation.
Chez Insaho, on apprend avec la vie
C’est dans cette vision que s’enracine notre manière de former, chez Insaho. Nos formateurs ne sont pas là pour faire défiler des slides. Ils partagent ce qu’ils ont vécu, testé, remis en question. Ils n’enseignent pas une vérité universelle, mais ouvrent un espace d’apprentissage expérientiel.
Nos apprenants, eux, apprennent en faisant. En vivant des situations, en interrogeant leurs pratiques, en explorant leurs propres réponses. On n’y entre pas pour "accumuler" du savoir, mais pour le traverser, le questionner, le transformer.
Parce que c’est là que ça se joue. Parce que dans un monde où tout peut être dit, écrit ou généré… Ce qui compte vraiment, c’est ce qu’on a vécu. Et ce qu’on en a fait.
Clarisse Labat